La Base sous-marine

Une naissance difficile, une vieillesse apaisée

 

Cinq bases sous-marines ont été construites sur le littoral atlantique pendant la Seconde Guerre mondiale. De nos jours, la base de Bordeaux accueille des expositions et des spectacles.

 

Une forte corpulence

Vu du boulevard Alfred Daney, c’est un gigantesque bloc de béton armé de 245 m de long, 165 m de large et 20 m de haut, dont 11 hors d’eau et 9 en profondeur. L'ensemble occupe une superficie de 43 000 m². Il est subdivisé en onze alvéoles. Chacune est séparée par un mur épais de cinq à six mètres et fermée par des volets blindés. Le tout est recouvert par deux socles superposés en béton armé de 5,6 m d'épaisseur surmontés par des poutres en béton de 32 tonnes espacées de cinq mètres et entrecroisées.

 

L’acte de naissance

La planification des bases sous-marines date de 1940. Elles ont été construites par l’organisation Todt (Fritz Todt était un ingénieur allemand). La construction du bunker commence en septembre 1941 sur le bassin no2 de Bacalan. Elle va durer deux ans sous la supervision des allemands.

Le nom de code est Betasom avec bêta, lettre grecque, initiale de Bordeaux et som pour sommergibili, sous-marin en italien car elle sera utilisée par la marine italienne. Très vite ce nom est devenu Bête de somme pour les hommes employés à sa construction.

600 000 m3 de béton et 36 000 tonnes de fer furent amenés par train, seul moyen de transport adapté à de telles quantités.

 

La mangeuse d’hommes

L'organisation Todt employa 6 500 travailleurs, prisonniers de guerre : espagnols, français, italiens, belges et hollandais.

Les républicains espagnols, les « rouges » de la guerre d’Espagne sont plus de 3 000. Ceux qui étaient logés à la caserne Niel à Bordeaux traversaient la Garonne en bateau pour éviter qu’ils désertent. Les autres arrivaient de Saint-Médard-en-Jalles à la gare Saint-Louis et finissaient le trajet à pied.

Beaucoup d’ouvriers sont morts sur le chantier, dont 72 espagnols. Début des années 1980, des survivants espagnols racontent :

« Le jour, la nuit, sous le soleil, la pluie ou par grand froid. L'enfer ! Les conditions de travail étaient telles que des dizaines d'ouvriers y ont trouvé la mort. Selon certains témoignages, des corps reposent dans le béton. »

La stèle érigée à leur mémoire en 2012 grâce à une souscription de 25 000 euros rappelle leur martyre. C’est un lieu de pèlerinage pour les Espagnols.

 

Les souffrances de la guerre

Bordeaux devient en 1940 le port d'attache de la 12e flottille italienne. Quarante-trois submersibles avaient pour missions l’attaque des navires alliés ou le transport vers l’Extrême-Orient.

Le premier bombardement allié de la Base eu lieu en mai 1943. Il fut tellement imprécis qu’il détruisit plus de 200 immeubles et tua 184 Bordelais. De janvier à août 1944, se dérouleront plus de 13 raids aériens sans grand succès, avec beaucoup de souffrances pour la population civile. Enfin le 28 août 1944, Bordeaux et le port sont évacués par les Allemands.

 

Une seconde vie*

Sous la responsabilité du Port Autonome de Bordeaux, elle est fréquentée par les ferrailleurs et quelques jeunes qui en font leur terrain de jeu jusque dans les années 60 où elle commence à inspirer des artistes.

Mais elle se dégrade de plus en plus et en 1982, les entrées sont murées. Sa masse est tellement imposante qu’il est impensable d’envisager sa destruction. Cette même année, Francis Martin, étudiant en architecture soutient son mémoire visionnaire sur les bassins à flots. On retrouve ce projet en partie dans l’aménagement actuel.

En 1998, 12 000 m² sont aménagés et ouverts au public. Depuis des spectacles et des expositions s’y succèdent.

Sur le toit de nombreux stigmates des bombardements deviennent lieux de vie : des graines apportées par le vent et les oiseaux ont germé créant un jardin suspendu entre acier et béton armé. Une cité lacustre a pris place côté boulevard Henri Brunet. Des inconditionnels logent sur leur embarcation, d’autres donnent corps à leur rêves en réparant des bateaux.

De nos jours, la ville de Bordeaux envisage d’acquérir la Base sous-marine pour lui donner une place plus apaisée dans la vie de la cité.

 

Patrick Dauga

 

 

*https://insitu.revues.org/9526