Pêcheurs autour du monde

La pêche a été bonne pour les deux amis Guillaume et Gilles (photo de Merce Cartane)

Un an de voyage en eaux lointaines.

 

L’Observatoire a rencontré Guillaume et Gilles, amis d'enfance et de canne à pêche qui ont pris le large à la découverte des pêcheurs traditionnels et de leur savoir-faire. Durant un an, ils ont ramené dans leur filet des rencontres, des récits, des images. Bavards insatiables, des étoiles plein les yeux, ils racontent : « Le fil rouge de notre voyage est la pêche traditionnelle pratiquée à petite échelle, avec des outils de faible technicité, sur les côtes, dans des rivières ou près des lacs. C'est ce que nous avons fait en boutres, barques ou pirogues. Sans vouloir prendre à notre compte la formule de Claude Lévi-Strauss « je hais les voyages et les explorateurs », nous ne concevions pas de barouder pour le simple plaisir de vivre des aventures picaresques dans des pays exotiques.

 

À Madagascar

On nous propose sans grand enthousiasme, par peur d’accident avec des étrangers, de nous embarquer. Le marché est simple : nous payons notre part de l'essence et nous récupérons le produit de la vente du poisson que nous avons pêché. Rero nous initie à la pêche à la palangrotte : technique qui consiste à laisser pendre les fils tenus en main, tout autour du bateau et à attendre que le poisson morde à l'hameçon. Notre première sortie en haute mer nous a rapidement plongés au cœur des réalités du métier... Nous repartons sur une pirogue à balancier avec Rachidie, le contrat est clair : si nous aidons son fils, nous pouvons rester quelques jours dans le village, nourris par la famille. Les prises sont rares, mais nous apercevons une baleine à bosse. De nuit, nous partons à la traque sous-marine ; après deux heures nous ramenons deux mérous. Notre équipement de plongée est envié, leurs masques sont en mauvais état.

 

En Tanzanie et au Kenya

Nous découvrons la pêche en apnée. Un boutre, voilier d'origine arabe, en bois de, armé d'une voile en forme de trapèze, nous transporte au large. Les plongeurs arpentent sans relâche les fonds marins entre 5 et 10 mètres. Du bateau, ils plongent sur une proie, dans l'eau translucide, munis d'une pique et la transperce. Nous arrivons au bord du lac Victoria, le plus grand d'Afrique, il appartient à l'Ouganda, au Kenya et à la Tanzanie. Au siècle dernier, il regorgeait de poissons qui, séchés, nourrissaient la population de ces trois pays. L’introduction de la perche du Nil, monstre d'eau douce, qui peut atteindre 200 kilos conduisit à l'extinction de quelques 200 espèces*. Dans la baie de Mbita, les pêcheurs sont désespérés, Siméon nous confie que sa dernière prise remonte à deux semaines.

Dans les eaux somalo kényanes, nous devons nous montrer généreux si nous voulons accompagner Mounsif. Nous plongeons avec une pique pour embrocher les poulpes et une épuisette rafistolée pour attraper les langoustes qu'il ne faut pas blesser. La pêche est miraculeuse ; mais on ne s'attarde pas le long des côtes. « Pourquoi ? » demandons-nous. « Vous êtes complètement fous : si les pirates somaliens vous repèrent, vous êtes cuits, vous valez sans doute beaucoup d'argent ! » Nous mesurons le risque que Mounsif a pris…

 

En Inde

Installés sur la plage de Kovalam, on nous fait signe de ranger nos cannes car l'heure n'est plus au jeu ; nous devons tirer les cordes comme tout le monde. Sabaham nous entraîne à la pêche à la Senne : un frêle esquif décrit un arc de cercle de plusieurs centaines de mètres entrainant un filet lesté, les hommes se jettent à l’eau, se placent autour à intervalles réguliers et pour faire fuir le poisson, frappent dans leur main en criant. Deux équipes d’hommes tirent la corde reliée au filet. L’exercice est rude sous un soleil de plomb, la manne est enfin sur la plage et horreur ! Il y a plus de plastique que de poissons. Sabaham décide de nous amener à la pêche à la traîne pour tester notre collection de leurres, les prises sont rares. À Fort Cochin, obnubilés par la beauté du mécanisme des carrelets, nous examinons chaque élément, qui constitue les immenses filets maintenus par une ossature en bois, suspendus à un mât de vingt mètres. Ils sont mis à l’eau par une dizaine d’hommes grâce à un système de balances, poulies, cordages et contrepoids en pierre. Nous marchons dans un champ de ruines, à la rencontre de deux hommes portant une dizaine de raies enfilées sur un bâton, ils nous confirment que nous sommes dans une zone de destruction causée par le tsunami de 2004.

 

En Indonésie  

Nous assistons à une pêche miraculeuse. L’équipe récupère des alevins sur un vieux trimaran, ancré au large depuis des années, où une poignée d’hommes rachitiques élèvent des appâts. Nous filons au large, à plus de cent kilomètres pour retrouver le rumpon : assemblage de palettes de bois et de feuilles de palmier tressées, fixées sous une grosse bouée. Ce dispositif est vite colonisé par les algues et le plancton. En quelques semaines, les thons, marlins et requins tournoient frénétiquement sous la bouée. Le bateau stoppe à quelques mètres ; alignés à la proue, douze hommes, canne tendue, se tiennent prêts. Les alevins sont jetés en l’air, les ombres s’agitent autour du bateau. Les leurres, simples pointes métalliques tordues à angle droit entrent en jeu. Le geste doit être vif et précis, les victimes de 4 à 8 kilos volent, se libèrent et retombent dans le bateau, le pont déborde de poissons. En une demi-heure, quatre tonnes de thons blancs ou jaunes sont stockées dans des bacs à glace. L’île de Lambata, face au Timor, abrite un village où, depuis plusieurs siècles, les habitants les plus valeureux sont chasseurs de baleines. Ils scrutent l’horizon sans répit pour repérer le jet puissant craché par le cachalot. Baléo, baléo ! Le tocsin sonne, une centaine de pêcheurs rejoint les frêles embarcations à rames, tractées par des bateaux à moteur, et fonce vers le large. Silence, personne ne bouge, chacun attend de voir le geyser qui donnera le cap vers le monstre à tuer. À cinq mètres de la bête, deux harponneurs, arme en main, s’élancent et enfoncent les lames acérées dans l’épaisse peau graisseuse, le cachalot est prisonnier des cordes qui relient les harpons au bateau. L’équipage saute à l’eau en plantant de longs couteaux dans le corps du mastodonte jusqu’à ce qu’il se vide de son sang. Il faut tirer les 30 tonnes de viande jusqu’à la plage, découper et partager avec tous les habitants, ce qui demandera deux jours et deux nuits.

 

Au Chili et au Brésil  

Nous vidons les casiers remontés par des treuils remplis d’araignées de mer et arrivons trop tard pour connaître la ruée vers l’or rose : le saumon, deuxième production mondiale après la Norvège qu’en 2007 une épidémie ravagea. Les exportations chutent, des milliers d’emplois sont détruits. Nous ne sommes pas admis à visiter une de ces fermes où le poisson est nourri avec des tonnes de granulés, de poissons morts et d’antibiotiques. Au Brésil, nous longeons des cours d’eau dans la forêt en lançant nos cannes équipées de bas de ligne en métal, au milieu de caïmans et de loutres géantes, de dourados et de piranhas.

Nous pourrions continuer de vous décrire les pêches à l’épervier, à l’explosif, au cerf-volant, au collet etc. Pour ne pas oublier, nous avons couché nos souvenirs. L’ambition de notre projet a été de donner la parole aux pêcheurs, héros ordinaires du livre**. Dans quel état sont les mers et rivières que nous avons sillonnées ? Quel avenir pour la relève ? Le constat est implacable. Du canal du Mozambique au Pantanal en passant par le lac Victoria les hommes puisent trop dans les ressources. Ils utilisent des techniques destructives pour les écosystèmes, fragilisés par la pollution.

Heureusement il y a l’humour de Sabaham le pêcheur indien : « Faut pas s’inquiéter mes amis de voir plus de plastique que de poisson dans nos filets ; je parie qu’un jour, on trouvera le moyen de le manger. »

À se demander parfois si nous l’avons bien fait ce voyage. Qu’elle parait lointaine notre vie de globe-pêcheur !

Paule Burlaud

 

*À revoir le film de Hubert Sauper Le cauchemar de Darwin

**Pêcheurs autour du Monde aux éditions de La Martinière