Beauté

Edito

« La beauté cachée des laids, des laids Se voit sans délai. » Gainsbourg, l’homme à tête de chou, comme il se qualifiait lui-même, a eu beau jeu d’instrumentaliser son physique, plutôt ingrat, pour le transformer en outil de charme. Il a fait jurisprudence. Voilà que, par la grâce de son regard d’artiste, la beauté ne se voit pas mais se devine et, qui plus est, sans délai. Sa chanson rappelle ainsi, dans un tourbillon lexical, que la laideur apparente n’a rien à voir avec le charme ; qu’un amalgame de séduction, de sex-appeal et d’une décoction de sorcellerie la balaye. Vilains de tous les pays, à défaut de vous unir, soyez rassurés, vous pouvez ne pas être aussi moche que vous le dit votre beau miroir ; mais à la condition que vous sachiez jouer de vos imperfections physiques sans les cacher, mais au contraire en les métamorphosant en arme de séduction passive. Il fallait y penser. Les contes de fées ne sont pas avares non plus (lire en page 8) de jeux de miroirs inversés dans lesquels la beauté cache une noirceur d’âme criminelle et vice-versa, alors que la laideur dissimulerait une bonté d’âme exemplaire. Dans le monde des Perrault, Andersen et consorts, le beau n’est pas bon, le bon n’est pas beau, le laid est honnête, le beau est assassin, et comme eût dit la fermière après la traite, qu’en est-il du beau bol de …lait ? Alors que les chorales enfantines s’apprêtent à célébrer la splendeur du beau sapin roi des forêts, à l’heure où les guirlandes d’ampoules leds (pas laides) embellissent boulevards, cours et rues passantes, la question de la beauté abordée dans ce numéro de la nouvelle année universitaire n’est pas si accessoire qu’il y paraît. Le souci d’une apparence reste en effet primordial chez nos semblables, si l’on excepte bien sûr celles et ceux qui se font punks provocateurs afin de déchaîner sur leur passage, la surprise de la foule qui, comme l’écrivait Brassens, « les couve d’un œil protubérant ». Mais il est vrai que la beauté, voulue ou de naissance, reste un des meilleurs moyens de drague, de conquête, sinon d’envoûtement. Et en ce sens, elle interpelle, elle est objet de désir ou de jalousie. Beauté. La force de ce mot si simple, deux consonnes, quatre voyelles, est telle qu’on ne lui connaît que peu de vrais synonymes. Et c’est aussi parce qu’il est iconique. À ce stade du texte, il a déjà été usé six fois, ce qui en dit long sur le manque de ressources en synonymes de l’auteur de ces lignes. Irremplaçable aide des écrivailleurs en manque d’inspiration, Littré lui-même bute sur sa définition : « Beauté : en général, qualité de ce qui est beau ». On a connu Émile plus inspiré. Preuve qu’on peut fouiller dans le vocabulaire, sans vraiment trouver une copie conforme qui exprime tout ce que le vocable renferme : esthétique, harmonie, joliesse, grâce, sex-appeal, splendeur… aucun mot ne la relaie vraiment. Confirmation que la beauté est une qualité unique. D’ailleurs, même son antonyme, la laideur ne lui fait pas peur. La preuve : la beauté cachée des laids, se voit sans délai.

Jean-Paul Taillardas