La fiction pour antidote

 

Le confinement, en modifiant profondément notre équilibre de vie, libère plus de temps pour la lecture. En nourrissant notre imagination, elle se révèle un excellent exutoire contre l’enfermement.

 

Comment résister aux conséquences de la crise sanitaire, quand on est un retraité occupé, privé de ses activités et du tissu relationnel qu’elles engendrent ? Comment trouver les ressources nécessaires au maintien de son équilibre personnel ? Bien des occupations peuvent y contribuer, mais les livres y concourent grandement, en nous embarquant véritablement dans la vie des autres. 

Les bons auteurs ont la faculté de nous accrocher très vite par le fil talentueux de l’histoire et la puissance des personnages, en ayant parfois l’impression de la vivre soi-même. D’emblée, ils nous plongent dans un autre monde avec lequel nous sommes en immersion ! 

Parmi beaucoup d’autres, deux ouvrages, d’une approche bien différente, me laissent des souvenirs marquants. Le Lambeau de Philippe Lançon, paru en 2018 et Pour qui sonne le Glas d’Hemingway, récemment relu.

 

Témoignage déchirant

Le Lambeau, prix Fémina 2018, décrit les moments glaçants de la vie de l’auteur, miraculeux rescapé du massacre de l’équipe de rédaction de Charlie Hebdo, le 7 janvier 2015. Sauvé mais à quel prix, une partie du visage dévastée par les balles de kalachnikov ! 

C’est une lecture très difficile, avec une mise à nu, qui ne nous épargne rien, mais on se laisse prendre par la beauté de l’écriture et l’attente de savoir la suite. Malgré les terribles situations qu’engendrent les 17 opérations en trois mois et de nombreux échecs, plus j’avance dans le livre, plus je souhaite me plonger plus loin dans le récit ! 

Pendant longtemps, Philippe Lançon se sent protégé dans sa chambre cocon de l’hôpital, sous l’œil bienveillant mais exigeant de Chloé, sa chirurgienne, véritable fée dont il boit les paroles pour alimenter son moral. Et nous le vivons avec lui. Il lui doit son nouveau visage dont il nous fait vivre avec émotion les étapes balbutiantes. Elles s’apparentent souvent à un véritable chemin de croix mais l’espoir qu’il fait partager au lecteur l’emporte. Après avoir longtemps refusé de renouer avec ses amis il se décide, non sans mal, à rejoindre lentement le monde du dehors, par bribes isolées, pour se donner une chance d’accepter sa nouvelle vie ! 

Pour Philippe Lançon, la culture est un antidote puissant contre les déchirures, le découragement. C’est une des leçons qu’on peut tirer de cette lecture pour faire face à nos difficultés, souvent bien ordinaires. Quelle expérience terrible, il nous fait partager. Manifestement, c’est dans la lecture puis dans l’écriture qu’il trouve son salut !

 

Histoire émouvante 

Pour qui sonne le glas d’Hemingway, publié en 1940, évoque un drame à la fois collectif et individuel, concernant un épisode de la guerre civile d’Espagne, inspiré par son vécu de journaliste.

Cet ouvrage, criant de vérité et de réalisme, nous fait partager l’ambiance suffocante de cette opposition fanatique entre les forces républicaines et l’insurrection nationaliste. Avec son talent habituel, l’auteur nous plonge dans un moment de ce combat, campant de façon très imagée les personnages, dont il nous fait partager les passions et les antagonismes d’une histoire émouvante, qu’on peine à quitter ! 

On s’identifie volontiers à Robert Jordan, jeune professeur américain, homme idéaliste et brave, engagé dans les brigades internationales. Il est envoyé en Castille, pour faire, malgré les risques considérables, sauter un pont stratégique au début d’une offensive majeure. Le héros rejoint dans les montagnes, derrière les lignes, un groupe inquiétant de partisans. 

C’est une belle histoire d’amour qui cache l’horreur de la guerre, avec une puissance dramatique croissante. Le lecteur partage trois jours d’une densité rare auprès d’hommes et de femmes à la fois valeureux et désabusés, seulement liés par la haine de l’adversaire issu d’un même peuple. 

On se laisse prendre par les nombreuses péripéties de l’histoire, dans un milieu hostile parcouru par les forces ennemies. On vit littéralement l’enchainement des événements. Hemingway évoque les détails angoissants de la préparation et les relations poignantes entre les acteurs. 

En 72 heures, tout est accompli. Malgré les difficultés qui s’accumulent, le pont est détruit mais le jeune américain, gravement blessé, dans un adieu déchirant, ne peut que laisser partir les quelques survivants ! Quelle belle leçon à tirer de ce roman intense qui évoque la condition humaine dans toute sa grandeur et sa petitesse. 

À l’image de ces deux livres, qui me laissent un souvenir attachant, je suis prêt à me laisser entrainer dans la lecture de nouvelles histoires que j’espère passionnantes.

 

François Bergougnoux