Adieu Mandela

La mort de Nelson Mandela me rend nostalgique, je vais vous raconter l’éphémère rencontre que je fis en 1998.

Dès les années 1970, en poste au Malawi, je me suis rendue dans ce pays alors maudit : l’Afrique du Sud. À cette époque, le boycott dicté par le régime d’apartheid était total ou presque. La France était discrètement présente en Rhodésie du sud, devenue depuis le Zimbabwe. (Voir n° 66 et 70). Avec l’insouciance de la jeunesse et le bonheur de découvrir ce continent, il me fallut un peu de temps pour comprendre que les accords de coopération en Afrique australe étaient un moyen détourné de maintenir des relations commerciales officiellement interdites.

 

Embargo poreux.

Ce pays fermé au reste du monde était censé vivre en autarcie. S’il était difficile de sortir d’Afrique du Sud, on pouvait y entrer, pour des vacances ou pour commercer (les produits français n’y étaient pas rares et le port de Durban recevait des containers de tous les continents). On vous y encourageait même en vous délivrant un visa volant afin de ne pas compromettre vos déplacements à venir par un tampon définitif.

À cette époque, il fallait un œil avisé pour se rendre compte de la réalité du comportement des blancs, surtout dans le milieu touristique. Soucieux de leur image, ils faisaient preuve de gentillesse et de générosité. Durant la journée, noirs, blancs, indiens et métis se mélangeaient, et le seul signe visible de l’apartheid était la mention "white only" dans les lieux et bancs publics et les transports en communs. Après 18 heures, les rues se vidaient et devenaient blanches.

 

Ce peuple aimait-il ses enfants ?

Les nanies* noires m’intriguaient, inlassables porteuses de bébés blancs, inlassables guides de bambins blonds. Si le pays devait sa richesse à une main d’œuvre moins considérée que ses animaux domestiques, comment pouvait-il lui confier sa précieuse progéniture ? À sa naissance, l’enfant blanc était pris en charge et souvent allaité par une domestique noire, parfois au détriment de son propre nourrisson. Porté à l’africaine, il était aimé, protégé et choyé, sans grande relation avec ses parents. Mais vers sa septième année, se produisait le traumatisme fondateur de son comportement futur quand, du jour au lendemain, il était envoyé en pension, pour apprendre la rudesse et le racisme. Il ne revoyait plus jamais la femme qui l’avait élevé.

 

Le climat change.

En 1984, je suis retournée dans ce magnifique pays, l’apartheid était toujours là. Les Sud-Africains, descendants d’Anglais, n’étaient plus aussi pétris de certitudes. Une phrase revenait souvent : « Donnez-nous du temps, nous ne sommes pas prêts. » Le désamour du reste du monde semblait les gêner et ils se mettaient en quatre pour que vous rapportiez la meilleure image possible de leur pays. Il n’en était pas de même pour les Boers qui ne pouvaient s’empêcher de nous parler de ce bastard de Mandela et de sa bande de terroristes… Mais, le président de Klerk était un homme d’ouverture.

« Asimbonanga, asimbonang’ uMandela thina, Laph’eklona, laph’ehleli khona »* chantait le zoulou blanc, Johnny Clegg. J’étais loin de me douter que quelques années plus tard, je le croiserais souvent à l’Alliance française où il apprendrait notre langue.

 

Épilogue heureux.

Ayant suivi mon mari à Johannesburg à la fin des années 90, il me fut donné de vivre les prémices de la nation arc-en-ciel, sous la gouvernance de Mandela.

Inutile de vous parler du personnage, tout a été dit mais je n’oublierai jamais ma rencontre avec ce grand homme, à Pretoria, dans les jardins de l’ambassade de France pour notre fête nationale. C’était l’hiver, le soleil brillait, la température était basse, l’alcool déliait les langues, soudain le silence succéda au brouhaha ambiant. Il était là, dans la foule, saluant au hasard, exécutant ses quelques pas de danse coutumiers. Il se retrouva alors devant moi, m’enserra la main dans les siennes en me demandant qui j’étais. Son regard plein de bonté imposait un respect instinctif, celui qu’on doit aux sages. Je rougis, perds mes moyens, essaie de répondre, je bafouille et sens un tapotement sur mon épaule. C’est fini, il passe au suivant.

 

Adieu Madiba, tu laisses un grand vide et pas de successeur, j’espère que l’exemple de ta sagesse cimentera cette jeune démocratie !

Paule Burlaud

 

* Nanies : domestiques noires qui élèvent les enfants

* « Nous n’avons pas vu Mandela, à l’endroit où il est, à l’endroit où on le retient prisonnier, où la mer est froide et le ciel gris. »